Pour en finir avec la réunionite

Source : Le Temps du 18 novembre 2021 : https://www.letemps.ch/economie/finir-reunionite

MANAGEMENT

Le problème bien connu de la multiplication des réunions en entreprise et de leur fréquente inefficacité s'est encore aggravé avec le travail hybride entre bureau et domicile. Conseils d'experts pour se rassembler quand il faut et comme il faut.

JULIE EIGENMANN

Les salariés suisses passent en moyenne cinq heures par semaine en séance, alors que deux réunions sur trois sont totalement inutiles, selon une étude menée par Doodle en 2019. Le cout total pour l'économie se serait élevé à 32,5 milliards de francs sur cette année-là. Des chiffres importants qui montrent une réalité qui ne date pas d'hier, celle de la réunionite, soit la manie d’organiser des réunions de travail, souvent inutiles.

Mais ce qui est nouveau, en revanche, c'est de compter des collaborateurs d'un côté et de l'autre de l'écran, au bureau et connectés depuis leur domicile, alors que le travail hybride se généralise dans de nombreuses entreprises. Avec ce modèle, la gestion des réunions se complexifie encore: les cadres n’ayant plus leur équipe sous les yeux ont tendance à en organiser beau coup, la cohésion et le dialogue peuvent être plus difficiles via écrans interposés et la tentation de faire autre chose lorsqu’on n'est pas vraiment impliqué est grande. «Une connaissance s’est filmée puis a diffusé ces images pendant une réunion, tout en écoutant d'une oreille, raconte Raphaël H Cohen, entrepreneur, spécialiste du management équitable et bienveillant et formateur en Suisse romande. Les autres participants ont cru qu'elle était bien présente.»

Alors, quelles solutions pour des réunions efficaces, aussi bien au bureau qua distance ? Des experts ont détaillé leurs bonnes pratiques pour Le Temps.

 S'assurer qu'une réunion est bien nécessaire

Certaines problématiques se posent de la même manière, travail à distance ou non. A commencer par celle-ci: les réunions viennent parfois combler un vide. C’est ce que relève le français Gael Chatelain-Berry, ex-cadre dans les médias, auteur de plusieurs ouvrages sur le bien-être au travail et créateur du podcast Happy work. Il a donné la semaine passée une conférence en ligne sur le management à distance. «Certains cadres sont angoissés de voir un agenda peu rempli et ont le réflexe, lorsqu'ils font face à un problème, de vouloir le partager plutôt que de téléphoner à une personne, par exemple. Mais, dans l'absolu, il n'y a aucune réunion indispensable, sauf celle hebdomadaire avec toute l'équipe.» Pour Gaël Chatelain-Berry, il s'agit donc de faire un ordre du jour avant de fixer une réunion et s'il s'avère qu'on ne parvient pas à l'établir… c'est que la réunion n'a pas lieu d'être.

«Beaucoup planifient d'abord une réunion, puis lui trouvent un objectif», confirme Nina Schneider, cadre chez Sherpany, société basée à Zurich qui aide les dirigeants à améliorer leurs réunions à travers un logiciel dédié et des conseils d'experts. L'organisateur doit donc être clair sur le but de la réunion. Les participants doivent aussi poser des questions en cas de doute sur la nécessité de leur présence», souligne-t-elle.

 Préparer, préparer, préparer

La phase de préparation est une dimension souvent oubliée dans les réunions: un créneau est bloqué pour la réunion elle-même, mais c'est moins fréquemment vrai pour sa préparation, regrette Nina Schneider. Et à quoi la préparation doit-elle servir? Notamment à prévoir le déroulement de la réunion. «Nous avons tendance à bloquer une heure de réunion par défaut, mais une réunion efficace, c'est souvent trente minutes», estime Gaël Chatelain-Berry. Nina Schneider conseille même de définir un temps précis pour chaque point aborde et de s’assurer à la fin de chacun d'entre eux qu'une décision concrète a été prise.

«Beaucoup planifient d'abord une réunion, puis lui trouvent un objectif»  NINA SCHNEIDER,CADRE CHEZ SHERPANY

Dans la même logique, Raphaël H Cohen propose de segmenter une réunion de cinquante minutes, par exemple, en cinq fois dix minutes: «Chacun n'a pas un besoin d'assister qu'aux parties qu ile concernent vraiment, mais se doit d'y être vraiment actif. »

 Utiliser des méthodes et outils participatifs

Lorsque les écrans s’en mêlent, il faut savoir utiliser les nouvelles opportunités qu'ils permettent. D'abord en s’assurant d'avoir des outils de visioconférence efficaces. Ensuite, les questions et sondages (anonymes) peuvent contribuer à dynamiser une séance. Nina Schneider suggère aussi de soigner, particulièrement à distance, le début et la fin d'une réunion. Une introduction se doit d'être claire et conviviale, certes, mais elle peut aussi être créative et participative, par exemple en demandant à chacun de décrire en deux mots comment il se sent.

« Il faudrait aussi prévoir cinq minutes à la fin pour un feed-back destiné à améliorer la réunion suivante», note Nina Schneider.

 Mesurer la qualité de la réunion

«A partir du moment où nous mesurons les choses, nous les prenons en compte.» Le constat de Raphaël H Cohen l’a amené à agir en ce qui concerne les réunions: il a créé MeetingMirror.com, une application gratuite disponible en ligne depuis un peu plus d'une semaine.

L’organisateur de la réunion n'a pas besoin de préparer de sondage à l’avance, un code QR est créé automatiquement lorsqu’il ouvre l’application à l’issue de la réunion. Chaque participant le scanne et a ainsi accès à un petit questionnaire pour donner son avis sur la durée de la réunion, la pertinence des informations transmises ou encore sur la qualité des débats. Un espace commentaire permet quelques précisions. Seul l'organisateur reçoit les réponses anonymes. C’est l’occasion pour lui de se demander ce qu’il peut faire différemment pour obtenir à l’avenir un meilleur score», souligne l’entrepreneur.

Gael Chatelain-Berry propose lui aussi de mesurer la qualité d’un rassemblement... à l'ancienne. « Une réunion est utile si elle laisse des traces. Un simple compte rendu, en 20 lignes, qui revient sur ce qui s’est dit, ce qui a été décidé et qui doit faire quoi, permet de s’en assurer. Si on n'est pas capable de le faire, c'est mauvais signe. »

 Ne pas oublier le présentiel

«En visioconférence, on ne peut pas regarder quelqu'un dans les yeux», rappelle Gaël Chate- 1ain-Berry. Pour lui, si des outils et méthodes permettent bien de dynamiser les réunions hybrides, il faut tout de même en prévoir certaines en présentiel.

Parce que lorsqu'elles sont pertinentes et bien menées, les réunions ont aussi ce pouvoir: celui de maintenir et renforcer les liens.